Hollande ne veut plus de rabbin
au Comité national d’éthique
dimanche 29 septembre 2013
Expulsion des religieux au Comité d’Ethique :
Ce que cache ce retour à une laïcité musclée.
Juifs et protestants français viennent de perdre leurs représentants au sein du Comité consultatif national d’éthique. Et cela, bien que le président de la République soit tenu, selon les textes, de nommer 5 personnalités qui appartiennent aux "principales familles philosophiques et spirituelles".
Avertissement : L’affaiblissement de la Communauté juive de France, et de ses Institutions, autorise, semble-t-il, les pouvoirs publics à passer outre l’avis de ses représentants. Ce pouvoir qui nous mène en bateau, par une communication souvent lénifiante, montre par des gestes aujourd’hui récurrents, la futilité des contacts entre les Institutions Juives et la République, que les médias nationaux et communautaires nous servent pour nous endormir. Le contentieux grandit à vue d’œil, entre la Communauté Juive et l’État, puisque, après les prises de position sur le mariage pour tous, c’est à présent la PMA et les questions relatives à la fin de vie, que l’on veut voir passer sans obstruction, parallèlement à la mise en cause de l’abattage Casher -affublé de l’adjectif "rituel" ce qui renvoie au crime rituel, au lieu de le qualifier comme l’abattage par saignée, en posant clairement les termes d’un débat plus polémique que scientifique, non-résolu, sur la souffrance animale-.
Ce contentieux remet en cause bien des acquis permettant une vie juive en France, et pose de plus en plus la question de son avenir de ce pays.
Le Comité consultatif national d’éthique a fait l’objet de 22 nominations – 15 nouveaux membres et 7 renouvellements. Un sujet fait du bruit chez les religieux puisque le pasteur Louis Schweitzer ainsi que le rabbin Michael Azoulay n’ont pas été renouvelés et ont été "remplacés" par une historienne du protestantisme - Marianne Carbonnier-Burkard - et un neurologue qui par ailleurs se dit attaché à la tradition juive - Lionel Naccache. Que penser de ce "nettoyage religieux" ?
Damien Le Guay : D’abord, il y a une question de forme. La politesse républicaine, qui suppose de prévenir, d’avertir, n’a pas été de mise. Les deux évincés l’ont appris par les journaux. Les protestants s’en sont émus. Le Rabbin a manifesté son étonnement. Ensuite, si les textes du CCNE ne prévoient pas de « représentants des religions » en tant que tels, une tradition s’était instaurée pour permettre à ces derniers d’avoir voix au chapitre. Le président de la République doit, selon les textes, nommer 5 personnalités, qui appartiennent aux "principales familles philosophiques et spirituelles". Enfin, le choix de ne pas les renouveler, eux et pas d’autres, est bien une décision politique. Il n’y a plus de religieux en tant que tels au sein du CCNE. Ceux qui les ont remplacés ont des "sensibilités religieuses".
Et si, contrairement au discours d’apaisement du président actuel (Jean-Claude Ameisen), Claude Baty, représentant officiel des protestants de France, a cru devoir écrire au ministre de l’Intérieur pour protester et si le Pasteur Schweitzer et le Rabbin Azoulay ont publiquement manifesté leurs désaccords, c’est bien qu’il y a un problème. Un problème lié à leur état religieux, à leur fonction religieuse.
Existe-t-il derrière ces changements un but politique inavoué ? Quelle vision de l’éthique cela implique-t-il ?
Le problème est double. D’une part, il s’agit d’un climat. La laïcité est un cadre général, des règles mais aussi un savoir-vivre ensemble, un respect mutuel. Pourquoi ne pas avoir renouvelé ces deux « religieux », compétents, spécialistes de ces questions, sans même avoir cherché une concertation avec les protestants et les juifs ? Sans doute pour les "sanctionner". Tout le monde sait que la position du CCNE sur l’euthanasie (avis de juillet 2013 défavorable à la légalisation de l’euthanasie) n’a pas plu. De plus, il faut envisager de meilleures manières les débats à venir – ceux sur la PMA et l’euthanasie. Le changement de la moitié des membres du CCNE permet "d’assurer ses arrières". D’autre part, il s’agit d’une certaine conception de "l’éthique de discussion", au fondement des comités d’éthique, et qui suppose que l’intelligence soit collective, la discussion libre, la conviction mutualisée. Le Rabbin Azoulay considère qu’il y a derrière ces évictions un "préjugé réducteur et choquant sur la capacité des religieux à pourvoir penser librement et intelligemment". Dès lors, si, comme le dit le rabbin Azoulay, les religieux n’ont plus voix au chapitre en ceci qu’ils sont religieux, c’est qu’ils sont considérés, par nature, comme incapables d’entrer dans ce processus de mise en commun des convictions. Si tel est le cas, alors existe une sorte de discrimination à l’égard des religieux – avec tout à la fois un a priori négatif qui n’est pas lié à une personne mais a une catégorie et, d’autre part, un défaut de reconnaissance, une sanction professionnelle, une dévalorisation des compétences au regard d’une supposée incapacité à sortir de sa condition. Pourquoi un rabbin serait-il moins convaincu et libre en même temps que Michelle Meunier, nouvellement élue au CCNE qui ne cache pas ses convictions LGBT ?
Faut-il relativiser l’importance de l’évènement ou au contraire y voir un révélateur de l’exclusion progressive des religieux dans le débat public ?
On peut le considérer. L’actuel président du CCNE le dit. M. Sicard, ancien président du CCNE, pense de même. Mais le Pasteur Schweitzer va quand même jusqu’à considérer que "le message est clair" : il s’agit d’un "retour à une laïcité musclée". Une certaine laïcité montre ses muscles et considère que les religieux n’ont pas place autour de la table quand il est question de religion, de laïcité ou de sujet de société. S’est-elle imposée dans certaines dernières décisions ? On peut se poser la question. Claude Baty s’étonne que dans le nouvel "observatoire de laïcité", dirigé par Jean-Louis Bianco, aucun de ses membres ne soit un religieux alors même, dit-il "qu’il y a des francs-maçons". La laïcité ne concernerait-elle pas les religieux ? Les religieux, a priori, ne joueraient pas le jeu ? Pourquoi ? Dernier indice : sans concertation aucune, France-Culture a déplacé certaines émissions religieuses du dimanche matin (celles des protestants et des juifs), à 7 h du matin pour laisser place, pendant une heure, à une émission de Frédéric Lenoir, "les racines du ciel" - émission intéressante au demeurant. Nous ne sommes plus dans les religions mais la "spiritualité laïque", la quête de soi. Les deux premiers invités de cette émission furent Luc Ferry et Mathieu Ricard. C’est tout dire ! Pourquoi mettre un dimanche matin, dans le temps des religions, une émission qui n’est pas religieuse si on ne considère pas, sans le dire, que la "spiritualité laïque" va venir remplacer les "religions" - ce qu’a clairement dit Luc Ferry lors de la première émission ?
Sommes-nous en train de confondre athéisme et laïcité ? De remplacer le dialogue par l’analyse ?
Il y aura toujours deux conceptions de la laïcité. Soit elle est envisagée comme un cadre général de limites et de respect. Alors, tout le monde est laïc – y compris les religieux s’ils respectent les règles de la République. Soit elle est envisagée comme un combat, une séparation entre les laïcs (qui seraient ceux qui n’ont pas de religions) et "les croyants" qui ne seraient que les seuls "croyants religieux". Ainsi, pour ce qui concerne une ultra-laïque, Caroline Fourest se présente comme "une laïque" - ce qui laisse à supposer que son interlocuteur ne l’est sans doute pas ! Cette laïcité-cadre et cette laïcité-contre ont des a priori différents.
Le paradoxe en France est que la République (de gauche comme de droite) est plutôt rétive vis-à-vis de toutes irruptions des religions dans l’espace public alors même que les traités européens, qui nous engagent, sont eux favorables au dialogue, à l’écoute des religions et à la contribution de ces dernières au débat public. Ainsi l’article 17 du traité de Lisbonne indique que l’Union doit avoir un "dialogue ouvert, transparent et régulier" avec les religions. Et le 30 mai dernier, les plus hautes autorités européennes, ont organisés une réunion avec les autorités religieuses d’Europe pour redonner sens et confiance en l’avenir de l’Europe. Et si la Commission européenne fait des "rappels à l’ordre" sur les Roms, elle n’en fait pas sur ce "dialogue"-là ! Elle pourrait en faire un suite à l’éviction des religieux du CCNE !
Avec qui dialoguer si ses interlocuteurs sont renvoyés en dehors des instances de dialogue ?
Damien Le Guay ATLANTICO.
Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l’auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d’Halloween (Editions le Cerf).
Il est maître de conférences à l’École des hautes études commerciales (HEC), à l’IRCOM d’Angers. Il est président du Comité national d’éthique du funéraire et Vice-président de l’Amitié Charles Péguy.
Le Comité national d’éthique soupçonné d’être remanié pour servir la gauche
Vingt-deux nouveaux membres, dont l’avocat Jean-Pierre Mignard, ami de François Hollande, ont été nommés au Comité consultatif national d’éthique, selon un arrêté publié dans le Journal officiel de dimanche.
Don du sang élargi aux homosexuels, ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes, fin de vie... Le programme est chargé pour le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), qui va devoir se prononcer sur ces sujets à l’automne 2013 et l’hiver 2014. C’est dans ce contexte que 22 nouveaux membres ont été nommés au CCNE, selon un arrêté publié dans le Journal officiel du dimanche 22 septembre.
Deux responsables religieux ont été évincés au profit d’une historienne et d’un neurologue. "Nous souhaitons revenir aux principes de création du Conseil de 1983 et faire appel à des laïcs pour représenter les courants religieux", s’est justifié l’Elysée auprès du Figaro, lundi.
Le choix des nouvelles personnalités n’est pas anodin : parmi elles figurent l’avocat Jean-Pierre Mignard, ami de François Hollande, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, proche de la gauche, ou encore la sénatrice PS Michelle Meunier, qui a fait des propositions en faveur des droits des transsexuels, comme le soulignait Le Monde (article pour abonnés) samedi. Un changement pour se constituer une assemblée obéissante sur des sujets de société sensibles ?
L’indépendance de l’autorité mise à mal par le mode de nomination
Organisme strictement consultatif, le CCNE a été créé en 1983 par François Mitterrand. Pendant une vingtaine d’années, il dépend du ministère chargé de la Recherche. Il faut attendre août 2004 pour qu’il dispose du statut d’autorité indépendante, rappelait Le Monde en février. Depuis, le Comité d’éthique peut être saisi par le président de la République, les présidents d’assemblée, les membres du gouvernement mais aussi des établissements publics. Il peut également s’auto-saisir de toute question posée par un citoyen ou l’un de ses membres.
Toutefois, l’indépendance du CCNE est relative : son président est nommé par le président de la République pour une période de deux ans renouvelable. Et parmi les 39 membres nommés pour quatre ans, renouvelés par moitié tous les deux ans, cinq personnalités "appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles", sont aussi désignées par le chef de l’Etat. Trois autres membres sont nommés par des ministres, un par le Premier ministre, un autre par le président du Sénat.
Le rôle du Comité d’éthique a donc tendance à évoluer en fonction du président et du gouvernement, et de leur couleur politique. Par exemple, Albert Jacquard, spécialiste de génétique des populations et homme engagé à gauche contre le nucléaire et pour le droit au logement, mort le 11 septembre, avait été membre du Comité d’éthique de 1983 à 1988. "Il est évident que Nicolas Sarkozy ne savait pas ce qu’était le CCNE. A contrario, François Hollande lui donne peut-être trop d’importance", estime dans Le Monde Didier Sicard, président du Comité de mars 1999 à février 2008, et désormais président d’honneur.
Des membres qui revendiquent leur liberté d’opinion
Des personnalités de gauche nommées au CCNE pendant le mandat de François Hollande, ce n’est donc pas très surprenant. En revanche, ce qui pose question, c’est leur point de vue sur les sujets de société sur lesquels ils vont devoir émettre un avis. Pour Louis Schweitzer, pasteur depuis 1976, qui affirme dans Le Figaro, lundi, avoir appris par voie de presse son éviction du CCNE, l’objectif est clair : "Le gouvernement veut s’entourer de personnalités qui prendront des positions dans le sens souhaité."
Mais d’autres membres du CCNE revendiquent leur liberté. "Chacun exprime son opinion", indiquait en février à francetv info Alain Fischer, membre du CCNE de 2003 à 2009. "Toutes les personnes qui me connaissent savent que la docilité n’est pas la première de mes qualités", réagit Jean-Pierre Mignard dans Le Figaro. "Je n’ai pas un sentiment d’instrumentalisation", réfute de son côté Patrick Gaudray, chercheur en génétique et président du comité technique du CCNE, dans Le Monde. "Je ne fais pas partie d’une opération de glissement à gauche", balaie Jean-Marie Delarue dans le même quotidien.
le rabbin Michaël Azoulay Des avis qui peuvent à la fois servir et desservir le gouvernement
De fait, l’opinion du Comité d’éthique n’est pas toujours prévisible. Ses membres apparaissent parfois divisés. C’est alors au gouvernement de composer avec l’avis rendu par cette assemblée hétéroclite. Et en pratique, il est difficile de trouver un cas où le gouvernement a pris une décision en totale contradiction avec l’avis exprimé. Cette ligne de conduite va-t-elle continuer ? Les cas des trois dossiers sensibles sur lesquels le Comité rendra un avis entre fin 2013 et début 2014 sont tous très différents.
Sur la fin de vie, dans son avis du 1er juillet, le CCNE s’est montré opposé à une option ouverte par l’Elysée :le suicide assisté. Le comité va de nouveau se prononcer, après des Etats généraux annoncés pour l’automne, dont feront partie des Français tirés au sort. L’avis sur le don du sang ouvert aux homosexuels est attendu à l’automne. "Quel qu’il soit, il servira au gouvernement pour justifier sa position", estime Le Monde.
Enfin, sur la PMA, le Comité s’est déjà prononcé, en 2005, contre son ouverture aux couples de même sexe. Il a rappelé son avis en 2010, au moment où il s’exprimait sur les "Problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui (GPA)". Début 2014, le CCNE doit émettre son avis sur l’ouverture de la PMA aux couples de femmes.
A cette occasion, la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a jugé, le 11 septembre, "bien naturel" d’attendre ce nouvel avis pour examiner la question de l’ouverture de la PMA à tous les couples. "Cela ne préjuge pas du fait que nous suivrons à la lettre [son] avis en la matière", a-t-elle toutefois souligné. Pourtant, François Hollande a promis de respecter l’avis du Comité d’éthique. Signe que l’exécutif marche sur des œufs à ce sujet, et cherche à montrer qu’il consulte longuement avant de trancher.
Par Violaine Jaussent FRANCETV INFO